La culture aborigène de Tasmanie au détroit de Torres 2/2

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La culture aborigène ne se limite pas aux images du lancer de boomerang, d’un aborigène soufflant dans un Didjeridoo ou de quelques tableaux se vendant à des millions de dollars dans les plus grandes galeries du monde. Cette culture vieille de 50 000 ans a beaucoup à nous apprendre, Caroline Simon a fait un superbe travail de recherche et d’étude pour vous faire mieux comprendre quelques aspects de cette culture.

On suppose actuellement que les Aborigènes et les Insulaires du Détroit de Torres sont en Australie depuis environ 60 000 ans. Évidemment, cette estimation varie pas mal selon le degré de conservatisme de l’historien !

Comme on l’a vu, ce sont les “explorateurs” Européens et les pêcheurs malais avant eux (ils commerçaient avec) qui ont découvert leur existence les premiers. On estime leur population à l’époque (à l’arrivée de Cook) entre 300 000 et 500 000 individus répartis en 500 à 700 tribus.

Mystérieux tasmaniens

Commençons notre petite enquête au sud du Détroit de Bass…On sait peu de choses sur les Tasmaniens car ils ont été littéralement décimés. De plus, et malheureusement, on estime qu’ils n’étaient que 5 000 environ à l’arrivée des Européens, ils demeurent donc d’autant plus une énigme anthropologique.

Détroit de Bass
Détroit de Bass

On va quand même farfouiller un peu dans la doc disponible, parce que c’est frustrant cette affaire ! Il semblerait qu’ils aient été complètement différents des «continentaux». On pense que deux vagues d’immigration en provenance d’Asie du Sud-est se sont succédées, il y a de cela des milliers d’années : la première, les Tasmaniens, la seconde… les Aborigènes continentaux.

Les premiers, ont vraisemblablement été un peu envahis sur les bords par les autres… D’où la fuite vers la Tasmanie (quelle idée de se réfugier dans ce repaire d’horribles bestioles diaboliques !). Sur place, leurs besoins étaient satisfaits en tout par le biais de la chasse et de la cueillette.

Mais, car il y a un « mais », leur culture, aux yeux des Européens était encore plus « primitive » que celle des Continentaux. Leurs ustensiles de pierre étaient, parait-il, grossiers, et leurs canoës constitués de morceaux d’écorce attachés les uns aux autres au moyen d’herbes solides.

Pour se défendre, ils disposaient, au choix, de gourdins et de crosses ou encore de javelots (dont certains mesuraient plus de trois mètres). Pas de mythes, « pas grand-chose » au niveau cultes & Cie, pas de trace d’arts, inutile de préciser qu’ils ne trouvèrent pas grâce à nos yeux bien myopes.

Pour couronner le tout, bien qu’insulaires et donc entourés d’océans, ils ne pratiquaient pas la pêche. Tout cela reste à prouver, si tant est que ce soit indispensable : on vient de s’apercevoir que, contrairement aux croyances passées, les Aborigènes du continent par exemple avaient mis en place une véritable industrie de l’anguille, de l’aquaculture, en langage européen moderne… De la capture au commerce, en passant par l’élevage, la conservation (séchage et fumage à la chaîne), le conditionnement, etc.

Peinture aborigène

Aujourd’hui, il n’y a plus d’Aborigènes en Tasmanie, Truganini (cf la chanson de «Midnight Oil») est décédée en 1876. C’était la « dernière », en tous cas, la plus célèbre.

Elle était née sur Bruni Island en Tasmanie. Elle a travaillé avec son mari Woorrady afin d’aider le « Protecteur » des Aborigènes, George Robinson, à déplacer les Aborigènes de Tasmanie sur Flinders Island.

Elle aurait sauvé la vie de George Robinson lors d’une attaque, en le faisant traverser une rivière sur une bûche. Elle alla à Port Phillip (Melbourne) avec Robinson et son épouse, mais est retournée sur Flinders Island pour revenir avec son peuple à Oyster Cove. Ce fut un échec, la plupart sont décédés. Truganini est devenue célèbre, « la dernière Aborigène tasmanienne », même si ça n’est pas tout à fait vrai. Truganini vécut les dernières années de sa vie à Hobart.

La vie quotidienne au nord

On change complètement de latitude, on franchit un autre Détroit, celui de Torres, à l’extrémité septentrionale du continent australien. On se retrouve chez Eddie Mabo (c’est là qu’on va reconnaître les courageux qui ont lu les autres rubriques), parmi les Insulaires du Détroit de Torres. C’est tout là-haut, niché entre la pointe du Cap York au nord du Queensland et la Papouasie-Nouvelle-Guinée.

Détroit de Torres
Détroit de Torres

Il s’agit d’un archipel, un tas d’îles pas loin les unes des autres, et là, il y en a quatorze. Elles s’appellent : Sai Bai, Dauan, Boigu, Mabuiag (Jervis Island), Badu (Mulgrave Island), Moa (Banks Island), Narupai (Horn Island), Masig (Yorke Island), Purma (Coconut Island), Yam, Warraber (Sue Island), Mer (Murray Island – Eddie Mabo!), Erub (Darmley Island), Ugar (Stephen Island).

Voilà qui vous donnera peut-être des idées de vacances ! Cette fois, je crois qu’il nous faut quelque chose de plus précis, pour bien les situer…

La majorité des habitants, géographie oblige (on ressort la carte), y est d’ascendance mélanésienne. Ajoutez une poignée de racines aborigènes, une lichette d’ancêtres asiatiques et une pincée de parents européens et vous obtiendrez le cocktail idéal ! Rien de tel que les mélanges, on ne le dira jamais assez !

Un peuple de la mer, donc, relativement proche de ses voisins Papous et Polynésiens (notamment en matière de musique et de danse). Mais pour 21000 d’entre eux, la vie se passe ailleurs et en particulier sur la côte du Queensland (Townsville, Cairns), non loin de la Grande Barrière de Corail.

Grande Barrière de Corail - Australie

L’impact de la colonisation sur les langues parlées dans le Détroit fut énorme : elle a marginalisé la culture et les langues du Détroit de Torres via des limites officielles imposées sur l’usage des langues indigènes dans les écoles et les lieux publics.

Au départ, elles étaient deux, tout simplement : le Kala Yagaw Ya (pratiqué sur les onze premières îles) et le Meriam Mir (pratiqué sur les trois dernières). Tout ceci a généré le Torres Strait Broken, né des amours des langues locales, avec le Bislama (un pidgin des îles du Pacifique importé par leurs habitants qui constituaient le gros de la main d’oeuvre de l’industrie maritime) et d’autres migrants (Japonais, Malais, Chinois). Le bébé a bien poussé, il a pris le dessus sur les deux idiomes vernaculaires (ça fait classe, non ?) au point qu’il est devenu la lingua franca du coin.

Un peu de concret

Les communautés qui les habitent sont en pleine métamorphose : de petits villages traditionnels, elles deviennent des bourgades. Elles sont toutes équipées en matière d’habitat moderne, d’infrastructures scolaires, médicales, téléphoniques, et électriques…

Les activités quotidiennes tournent autour des affaires familiales et communautaires. Et qui est en charge de tout ça ? Actuellement, les responsables administratifs sont le directeur du conseil communautaire, les conseillers, le prêtre et les anciens du clan.

Tout cela est centralisé sur Thursday Island, qui est le centre commercial et administratif des Îles du Détroit de Torres. Comme tous les peuples de la planète, ils ont adapté leur style de vie, ou plutôt mode de vie, à leur environnement.

Thursday Island Torres Straits, Queensland Australie
Thursday Island Torres Straits, Queensland Australie

Ils étaient même entièrement dépendants de la mer en termes d’alimentation et devaient ainsi se déplacer d’une île à l’autre. Sur la terre ils cultivaient des produits agricoles dans leurs jardins et élevaient des animaux domestiques, principalement des cochons. Aujourd’hui, les magasins communautaires ont pris le relais et les potagers sont laissés à l’abandon. En revanche, leur aliment principal est toujours le poisson. Diverses manières de l’attraper : palangre, filet, harpon bien affûté (« weira »).

Le poisson se mange accompagné de riz, d’ignames, de patate douce ou de taro. Pour les amateurs de fruits de mer, beaucoup de tortue et de dugong au menu !

Ce sont quand même des mets d’exception, un peu comme notre caviar… Ils sont dégustés pour les occasions spéciales, les mariages et les inaugurations de tombes. Un plat populaire, le steak frites local : le sop-sop.

L’eau va vous monter à la bouche, à moins que vous ne fassiez justement partie des inconditionnels du susnommé steak frites (quoique, il n’y a pas d’incompatibilité), lorsque je vous aurai révélé que sous ce doux nom se dissimule un mélange de légumes finement découpés, ayant mijoté dans du lait de coco… Les Australiens en sont très friands ! Ça se rapproche beaucoup des currys indiens… Good for your tummy !

Toutes ces merveilles sont cuisinées non pas au micro-ondes, mais de manière bien plus poétique, dans un kap mauri ou four en terre. Une fois les préparatifs achevés, on enveloppe le tout, on le dépose sur des pierres chaudes soigneusement disposées au fond d’un puit spécialement creusé pour l’occasion.

Les grandes occasions, justement, revenons un peu dessus : les Insulaires du Détroit de Torres organisaient et organisent toujours des festins au cours desquels on danse, on chante et surtout on se bâfre ! Un peu comme partout et de tout temps en somme, ça rappelle entre autres les agapes gauloises braillardes qui fleuraient bon le sanglier et la cervoise, comme dans nos « Astérix » préférés !

Il existe deux types majeurs d’événements spéciaux : le mariage et les funérailles.

Pas besoin d’agences matrimoniales : hommes et femmes sont promis à quelqu’un dès un âge relativement jeune et le processus est particulièrement régulé, et rodé.

Quant aux enterrements, c’est principalement la famille du défunt qui est en charge des préparatifs, c’est-à-dire la quête d’argent auprès de chaque membre de la famille, la construction d’une tombe et surtout, encore une fois, la mise au point du festin. Les images les plus célèbres de funérailles sont probablement celles qui furent tournées lors de l’enterrement d’Eddie Mabo, en présence du Premier Ministre Paul Keating (à titre privé) et de son épouse.

Mythe fondateur : Malo

Malo est un dieu qui a débarqué incognito dans les îles sous forme de pieuvre. Il a uni les tribus, a donné des lois et des commandements à leurs habitants (c’est une pratique courante chez les dieux). En conséquence de quoi, ceux-ci devaient demander sa permission pour pêcher par exemple.

Aujourd’hui, les îliens sont de « bons chrétiens », pour la majorité d’entre eux anglicans, néanmoins d’autres églises minoritaires coexistent avec la dominante. Ils ont eux-mêmes bâti leurs lieux de culte. Habituellement, le service se tient en anglais, mais les hymnes, eux, sont chantés dans les « idiomes vernaculaires ». Cette ferveur va jusqu’à la célébration de la « Venue de la Lumière », le 1er juin de chaque année.

Ils commémorent ainsi l’arrivée en 1871 des missionnaires de la London Missionary Society dans le Détroit par un service classique suivi d’une reconstitution de l’arrivée des dits missionnaires et de l’accueil amical qui leur fut réservé dans les îles. Certains habitants se déguisent donc en missionnaires, tandis que d’autres revêtissent leurs plus beaux atours de guerriers !

Petit bilan …

Malgré une exposition totale aux effets dévastateurs de la langue anglaise et une confrontation sans merci avec la culture occidentale, on a l’impression que les Insulaires du Détroit de Torres sont parvenus à préserver leurs traditions et leur culture, au prix de certain sacrifices, avec beaucoup de courage et de combativité.

Merci à Caroline

Copyright Caroline Simon

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