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25 avril 2024

Le Monde 23/02/07 : Mrs Macquarie’s chair!

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    Caroline
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    Le jardin secret de Sydney
    LE MONDE | 23.02.07 | 17h12 • Mis à jour le 23.02.07 | 17h12
    Depuis le « fauteuil de Mrs Macquarie », le visiteur peut apercevoir une partie de la baie de Sydney. |

    SYDNEY ENVOYÉE SPÉCIALE

    Elle s’appelait Elizabeth Macquarie, née Campbell peu avant 1780. Son mari, Lachlan, qui était aussi un lointain cousin et beaucoup plus vieux qu’elle, a laissé son nom au frontispice de plusieurs monuments, de quelques rues et d’une université, ce qui n’a rien d’étonnant pour un père de la nation. Grand voyageur (il avait bataillé sous des cieux multiples, pour le compte de la couronne d’Angleterre), Lachlan fut gouverneur de la colonie pénitentiaire australienne entre 1810 et 1821 – autrement dit juste après le controversé William Bligh, celui du Bounty. Elle, Elizabeth, n’a donné son nom à aucune vaste bâtisse, aucun pont, aucune institution prestigieuse : juste à quelques marches taillées dans la pierre, au bout d’une anse de la baie de Sydney, et à un chemin qui longe la mer. Mais par une curieuse ironie, ce sont ces souvenirs, incarnés dans une personne et dans sa vie quotidienne, qui parlent le plus fort à l’oreille du visiteur. Sans doute parce qu’ils évoquent, à leur manière, ce que dut être la vie des premiers migrants du bout du monde.

    Quatre marches taillées dans le granit gris, puis une sorte de banc étroit, lui aussi creusé à même la pierre et surmonté d’une ancienne inscription en lettres noires. L’histoire veut que Mrs Macquarie se soit fait aménager dans le roc un siège naturel où se reposer, durant ses promenades le long de la baie. De là, entre Farm Cove et la baie de Woolloomooloo, elle regardait, dit-on, les bateaux qui venaient d’Angleterre. Elle-même était arrivée en décembre 1809, avec son mari, au terme de huit mois de mer. Ils s’étaient embarqués à Portsmouth, en Angleterre, avec le 73e régiment et un bon nombre de « convicts », ces bagnards que l’Angleterre expédiait au bout du monde pour soulager ses prisons. Même à l’époque moderne et par les avions les plus rapides, le voyage en Australie donne une idée de ce qu’est, physiquement, la distance. Aussi peut-on imaginer, fût-ce imparfaitement, ce qu’éprouvait peut-être une Anglaise du début du XIXe siècle, en contemplant les vagues du Pacifique.

    De ce qui s’appelle aujourd’hui le « fauteuil de Mrs Macquarie » (Mrs Macquarie’s chair), le visiteur moderne aperçoit une partie de la baie de Sydney, bordée de demeures cossues, d’immeubles plus ou moins hauts et d’une abondante végétation. Sur la droite, il distingue des chantiers navals, avec leurs lourdes grues grises et sur la gauche, en tendant un peu le cou, le splendide opéra blanc dont les toits, vus de profil, ressemblent à des voiles (et vus de dessus, aux casques bizarres des conquistadors espagnols). Au pied du « fauteuil », passe la « Route de Mrs Macquarie », chemin dessiné par elle, qui mène vers les profondeurs d’un merveilleux jardin botanique. Le genre d’endroit où, vagabondant parmi les joggeurs, les photographes et les amateurs d’arts martiaux, le passant peut se laisser gagner par une douceur étrange. « S’il vous plaît, marchez sur l’herbe, dit un panneau à l’entrée. Nous vous invitons aussi à sentir les roses, à caresser les arbres, à parler aux oiseaux et à pique-niquer sur les pelouses. » Quoi ? Les pelouses ne seraient pas interdites ? Mais non. Les gardiens, vêtus comme les gardes forestiers dans Skippy le kangourou, déambulent placidement pendant que des dizaines de jardiniers font leur travail. Les Sydneysiders, quant à eux, suivent les consignes à la lettre.

    Ils flânent donc sous les figuiers géants dont les troncs veinés rappellent les muscles des écorchés, sur les planches anatomiques d’autrefois. Ils s’arrêtent pour examiner des arbres extraordinaires, pourvus de fleurs en corolles renversées, roses et filées comme des cloches de sucre candi. Ils s’étonnent devant les noms de certaines plantes savantes, les Leucothoe Fontanesiana, les Chorisia Speciosa, les Wollemia Nobilis. Ou devant ce curieux arbre à sucettes, garni de fleurs écarlates en forme de cônes dentelés. Et encore devant ces fougères primitives, qui ressemblent comme des soeurs à celles qui couvraient la terre, il y a deux cents millions d’années. Parfois, ils lèvent la tête, pour voir d’où vient ce couinement étrange, perçant, ponctué de cris plus violents, comme une dispute. Ce sont des centaines de chauves-souris fructivores, suspendues comme de drôles de petits sacs poilus aux plus hautes branches des arbres. A l’improviste, elles quittent leurs perchoirs et fusent contre le ciel bleu, leurs maigres corps tendus entre leurs ailes membranées. Chemin faisant, elles survolent des bananiers, le jardin

    d’herbes et sa fontaine sensorielle, une statue martiale du capitaine Arthur Phillip, premier gouverneur d’Australie ou tout simplement des bégonias aux noms charmants, modestes et pleins de mystère, « Sophie-Cécile », ou « Irène Nuss ».

    Bientôt, ils arrivent au lieu où se produisit, dit-on, la rencontre entre les hommes de la First Fleet, la première flotte (700 bagnards de 12 nationalités, dont 188 femmes, des soldats, des officiers et un seul colon : en tout plus de 1 000 personnes) et les Aborigènes. Là, pas question de loisirs ou de pique-niques, de ballades et de conversations avec les oiseaux. En tout cas, pas du temps de Mrs Macquarie : ni pour les indigènes, les Cadigal, qui furent irrémédiablement dépossédés de leur terre, ni pour les « convicts », qui travaillaient comme des forcenés. S’ils caressaient les arbres, c’était avec des haches et le soc de leurs charrues, pour essayer de dégager des parcelles de terre cultivable, en éliminant les énormes racines de variétés complètement inconnues. « Je serai difficilement cru quand je raconterai que j’ai vu douze hommes travailler cinq jours pour déraciner un seul arbre », notait, en 1790, John White, le chirurgien de la First Fleet. N’importe : loin de toute cette activité, Mrs Macquarie observait la mer. En 1803, soit quelques années avant son arrivée, un mur (dont il reste un tronçon de pierre blonde) avait été bâti par les bagnards entre le Domaine, jardin privé du gouverneur et la ville émergente. Postée sur son « fauteuil » de pierre, Elizabeth Macquarie pouvait ainsi tranquillement regarder les bateaux arriver d’Angleterre. Et songer, peut-être, aux lointains brouillards qu’elle avait abandonnés là-bas pour la lumière brillante, impérieuse et sans pitié des antipodes.

    #277573
    Caroline
    Participant

    C’était peut-être une chaise éjectable;-)

    #277574
    Caroline
    Participant

    Pouah;-)

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